Porcelaine d'Arita qui décore les tables des habitants de la paisible Edo
Le 9 août de la 11e année de l’ère Bunsei (1828), le cœur d’Arita fut dévasté par « le grand incendie de Bunsei ». Suite à de nombreuses pertes, il reste peu de documents historiques connus attestant de l’histoire d’Arita depuis le XVIIe siècle jusqu’au début du XIXe.
Néanmoins, des historiens et spécialistes de la porcelaine parvinrent à retracer l’étendue et les grandes lignes de ce commerce à travers des documents laissés par le clan féodal de Nabeshima, des traces écrites de négoce avec les commerçants d’Imari – qui occupaient un rôle essentiel dans le commerce de la porcelaine d’Arita –, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et les navires chinois karabune, ou encore des objets trouvés lors de fouilles archéologiques, dans des maisons de commerce ou palais étrangers, ou dans les demeures de daimyō et de riches marchands de toutes les régions du Japon.
Parmi toutes ces pistes, les plus grandes sources d’informations sont les traces écrites des échanges commerciaux avec la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Selon ces documents, l’exportation aurait connu une forte croissance en 1659, une apogée dans les années 1660 à 1670, puis un déclin à partir de 1690. L’une des raisons à cela est qu’en 1684, la dynastie Qing prit la place de la dynastie Ming au pouvoir et autorisa les voyages à l’étranger ainsi que le commerce extérieur grâce au « Grand dégagement », permettant à la Chine de se lancer dans l’exportation ; en revanche, en 1685, le shogunat restreignit le revenu annuel du commerce de Nagasaki à 6 000 kans pour les navires chinois, et à 3 000 kans pour les navires néerlandais (1 kan au début de l’époque d’Edo = 2 millions de yens actuels)*1
À cela s’ajoute une augmentation de la demande de porcelaine au Japon qui contribua aussi fortement à la baisse de l’exportation : les prix flambèrent, et Arita se trouva désavantagée dans la compétition qui l’opposait à la Chine.*2
Finalement, ce furent les marchands de porcelaine d’Imari et les commerçants de toutes les régions du pays qui soutinrent le marché et jouèrent un rôle prédominant vis-à-vis de cette demande croissante, qui semblait augmenter autant que l’exportation diminuait. On raconte même qu’au XVIIe siècle, les marchands de porcelaine d’Edo se déplaçaient jusqu’à Sarayama, à Arita, afin de s’approvisionner directement auprès des potiers.
« La 8e année de l’ère Kanbun (1668), Imariya Gorobee, marchand de porcelaine à Edo, reçut la demande du chef du clan féodal de Sendai, Date Mutsu no kami Tsunamune, de lui trouver un plat magnifique. Il en chercha un alors qu’il était descendu à Arita pour se réapprovisionner, mais ne put trouver ce chef d’œuvre. Après avoir demandé conseil à deux ou trois potiers, il se vit recommander un célèbre potier de l’époque, Tsuji Kiemon. Sans plus attendre, il lui passa commande et put obtenir un superbe plat en porcelaine bleu et blanc. Satisfait, il l’apporta à la famille Date. 10e année de l’ère Kanbun, deux ans après les faits. »*3
Outre Imariya Gorobee cité plus haut, les documents historiques mentionnent de nombreux commerçants tels que Fujimoto Chōzaemon, Aoyama Kōbee, Tomimura Morisaburō, ou encore des paysans aux noms tels que Kisōji, autorisés par les clans à aller vendre les porcelaines d’Arita à Ōsaka.*4。
C’est ainsi qu’à partir du XIXe siècle, les objets en porcelaine, qui étaient autrefois l’apanage des membres de la haute société, devinrent des objets d’usage courant du peuple pouvant servir à décorer les tables à manger. La vaisselle et la nourriture représentées dans les estampes ukiyo-e de célèbres artistes de l’époque d’Edo tels que Utagawa Hiroshige ou Utagawa Toyokuni témoignent d’une culture culinaire d’une grande richesse.*5。
Certains spécialistes font même remarquer que d’après les scènes de repas représentées dans l’art pictural, l’Orient, de par la variété de sa vaisselle et ses manières à table, faisait montre d’une culture culinaire mature et d’un bien plus grand raffinement que l’Occident jusqu’aux XVII-XVIIIe siècles.*6。
De nos jours, la cuisine japonaise rencontre un grand succès de par le monde, et elle se trouve même inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Pourtant, presque tous les fondamentaux de cet art ont été établis à l’époque d’Edo, avant la modernisation du Japon. La porcelaine d’Arita, agréable au regard, délicate mais robuste, et très fonctionnelle, a joué un rôle décisif dans le développement de cette culture que le Japon est aujourd’hui si fier de présenter au monde entier.
- *1 Site officiel du Musée de la monnaie de la banque du Japon, 1 monme au début de l’époque d’Edo = 2000 yen (estimation)
- *2 Genji MATSUMOTO, « Récits historiques d’Arita, le village des flammes » (Honoo no sato Arita no rekishi monogatari), 1996, impressions Yamaguchi
- *3 Hiroki NAKAJIMA, « L’Histoire de la porcelaine de Hizen » (Hizen jiki shikō), 1985, éditions Seichōsha
- *4 Hiroshi MAEYAMA, « Études sur l’histoire du négoce des porcelaines d’Imari » (Imari yaki ryūtsū shi no kenkyū), 1990, impressions Seibundō
- *5 Noritake KANZAKI (éd.), « La culture culinaire d’Edo à travers la collection de M. et Mme Shibata » (Shibata fusai korekushon ni miru Edo no shokubunka) in Fudebako n°28, édition spéciale « Porcelaine d’Arita », 2013, éditions Hakuhoudō
- *6 Hiroko NISHIDA (spécialiste de l’histoire de la porcelaine orientale de rang international et consultante pour le musée Nezu), « Histoire de la porcelaine dans les échanges entre Orient et Occident » (Tōzai kōryū no toujishi), 2008, éditons Chūō Kōron Bijutsu