1915 : Grande révolution de la distribution de porcelaine avec le « marché aux porcelaines d’Arita »
Au premier pied posé dans l’enceinte du temple Keiunji à Arita, le regard des deux Kongō rikishi donne l’impression qu’ils vont se mettre à bouger dans l’instant. La puissance qui émane de leur tenue dynamique invite les visiteurs dans un monde bien différent de celui des porcelaines d’Arita et des installations artistiques qui fascinent les amateurs par leur beauté délicate. Le temple Keiunji est le berceau du « marché aux porcelaines d’Arita » mais l’atmosphère des lieux est très éloignée de celle du joyeux « festival » visité par un million de personnes durant toute la durée du marché et rempli de nombreuses boutiques en enfilade qui présentent des céramiques des plus diverses.
En réalité, ce n’est que depuis la 19e foire aux porcelaines de 1915 (an 4 de l’ère Taishō) que le marché aux porcelaines est devenu un festival aussi chaleureux, et la « foire aux porcelaines » qui était organisée jusque-là sur les terres du Keiunji était un événement beaucoup plus solennel. Les potiers et céramistes apportaient des œuvres créées avec soin, les juges les examinaient, et les lieux prenaient alors des airs de scène de « combats impitoyables », teintés d’abord de nervosité puis, à l’annonce des résultats, de la joie des uns et de la tristesse des autres.
Celui qui avait suggéré de faire un « vide-grenier » très animé à côté du concours solennel, durant lequel on n’entendait même pas une mouche voler, était Fukagawa Rokuzō qui publiait alors une revue intitulée « Les amis d’Arita ».*1 *2 Aidé de Nakajima Hiroki ou encore de Tokumi Tomotaka qui étaient des « amis d’Arita », Rokuzō planifia le « festival de la poterie » et le présenta au bourgmestre Hisatomi Mihosuke et à Fukagawa Eizaemon de la société Kōransha pour contribuer à la revitalisation de la totalité de l’industrie potière d’Arita.
À ce moment, l’idée de « vide-grenier » ne fut tout d’abord pas bien accueillie car la vente d’articles médiocres n’était considérée que comme un moyen de gagner quelques pièces pour les femmes et les enfants. Cependant, l’enthousiasme de Rokuzō finit par convaincre les habitants d’Arita.
L’association des jeunes d’Arita devint fondamentale et créa une coopérative, les rues principales du bourg furent décorées, et quant aux commerçants, ils présentèrent tous des articles, pour ainsi devenir le modèle de l’actuel marché aux porcelaines. On dit que le bourg d’Arita était vivement animé par les acheteurs grâce à la situation économique favorable après la Première Guerre mondiale et à des idées bienvenues comme la distribution de billets de tombola ou le transport gratuit des marchandises jusqu’à la gare du chemin de fer national qui venait tout juste d’ouvrir à la même époque.
En marge de la vente de poteries, de nombreux événements furent organisés à commencer par des expositions de céramiques antiques ou des brocantes d’œuvres de calligraphie et de peintures, mais aussi des événements autour de l’ikebana, des bonsaïs, du haïku et du tanka, du yōkyoku (chant dans le théâtre nō), du chikuzen-biwa (instrument de musique), du go ou du shōgi, et l’animation débordante de Sarayama en vint bientôt à s’ancrer dans le célèbre « marché aux porcelaines » d’Arita.
Depuis les débuts du marché aux porcelaines, le fait que Yi Sam-pyeong fut le premier à réussir à cuire de la porcelaine au Japon ou encore l’édification du monument commémoratif pour Wagner devinrent des sujets de discussion entre les habitants d’Arita et deux ans plus tard, en 1917 (an 6 de l’ère Taishō), les « 300 ans de Yi Sam-pyeong, le père de la porcelaine » furent célébrés. De même, l’« association à la gloire de Yi Sam-pyeong » fut fondée avec à sa tête Fukagawa Eizaemon de la société Kōransha et, après obtention du concours des notables d’Arita ainsi que des personnes liées à la famille Nabeshima de l’ancien domaine du prince de Nabeshima, de Takushi, de Hasuike et de Takeo, un grand monument en l’honneur de Yi Sam-pyeong fut érigé à Renge Ishiyama, fin 1917.
« M. Yi n’est pas seulement le père de la porcelaine d’Arita, c’est également le grand sauveur de l’industrie potière japonaise », le nom de sa terre natale et un éloge y furent gravés, revêtant une importance toute particulière durant cette période d’annexion de la Corée par le Japon, et transmettent aux générations actuelles « l’esprit d’Arita » d’un artisanat juste et international.*3
Si l’on se penche sur l’histoire de la porcelaine d’Arita, le mot-clé de l’ère Meiji est « Exposition universelle ». Sous la direction de Fukagawa Eizaemon, ou encore Fukagawa Seiji et Fukagawa Chūji, la société Kōransha présenta des articles aux Expositions universelles et ouvrit la voie vers l’Europe et les États-Unis en devenant le chef de file de l’industrie exportatrice.
En revanche, les mots-clés de l’ère Taishō sont « foire » et « marché aux porcelaines ». À cette époque, l’industrie porcelainière d’Arita prenait du retard sur les autres terres de production nationales concurrentes et cherchait des solutions pour le rattraper.
C’est pourquoi ce nouveau marché aux porcelaines est un mouvement que l’on peut qualifier de précurseur au mot-clé utilisé de nos jours en marketing « de la création d’objets à la création d’histoires ». Environ un demi-siècle après la restauration de la famille impériale, le Japon avait rapidement introduit les technologies et les cultures européennes grâce aux Expositions universelles, et il avait peut-être enfin à l’ère Taishō reconquis sa vraie nature.
Sakaida Kakiemon, 14e génération de la famille Sakaida, en charge de l’ameublement du train de nuit de luxe « sept étoiles », a répété de nombreuses fois l’expression « esprit de la plaisanterie » au cours de sa création.*4 Lorsque le 14e Sakaida s’est vu confié le projet du « sept étoiles », il a révisé des milliers de modèles transmis depuis l’époque d’Edo. Parmi ces modèles, on ne trouve pas uniquement de magnifiques objets aux formes épurées mais également des objets mignons et drôles à l’usage inconnu, et qui transmettent au présent la liberté d’imagination des artisans de jadis.
Il n’existe sans doute rien de plus luxueux et raffiné qu’une vie où l’on ressent la beauté naturelle qui émane d’œuvres confectionnées avec passion par les meilleurs artisans et avec les meilleures techniques.
Le marché aux porcelaines est une nouvelle étape pour la poterie d’Arita, passant de l’ère des porcelaines d’Arita exposées entourées de la nervosité de leurs créateurs à l’ère des porcelaines d’Arita qui colorent la vie quotidienne et que l’on peut tranquillement apprécier, et dont l’esprit est aujourd’hui encore transmit.
- *1 Hiroki NAKAJIMA, L’Histoire de la porcelaine de Hizen (Hizen jiki shikō), 1985, éditions Seichōsha
- *2 Genji MATSUMOTO, « De l’histoire d’Arita, le berceau des flammes » (Honoo no sato Arita no rekishi monogatari), 1996, Yamaguchi insatsu (presses de Yamaguchi)
- *3 Comité de compilation des archives de la ville d’Arita, « Archives de la ville d’Arita : le commerce, volume II » (Arita-chō-shi shōgyō-hen I ), 1985, Arita
- *4 « L’histoire méconnue du « voyage miraculeux » de 500 jours du sept étoiles » (Daremo shiranai nanatsu-boshi ~ 500 nichi « kiseki no tabi » no monogatari) (Coffret Blu-ray et DVD officiels de JR Kyūshū), 2014, TC Entertainment